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Balzac a été imprimeur
entre 1826 et 1828.
C'est l'époque où il ne veut plus être, comme
il le dit dans une lettre de 1827, qu'un « homme de lettres de
plomb » (Corr. I, p. 317).
L'entreprise ne fut pas heureuse sur le plan financier, et cet échec entraîna
le retour de Balzac vers la littérature,
avec la mise en chantier des
Chouans.
Néanmoins, l'écrivain a retiré de cette
expérience des compétences techniques et commerciales qui ont
nourri son écriture elle-même. Car le romancier qu'il est
redevenu sait tout, désormais, sur l'objet livre, de sa
fabrication à sa diffusion. Pour lui, il n'y a pas d'hiatus
entre le texte et le livre, qu'il suit en professionnel du manuscrit aux
placards et des placards aux épreuves, jusqu'au bon à
tirer. On comprend ainsi qu'Illusions perdues
soit le grand roman du Livre dans tous ses états,
depuis le choix du
papier et des caractères typographiques jusqu'au recueil de
poèmes, en passant par les cénacles littéraires, les
libraires, les journalistes et les critiques, sans jamais oublier les
conditions matérielles de la fabrication ni le coût de chaque
opération. Ce n'est donc pas par hasard si la scène
inaugurale du roman se situe dans une imprimerie.
Facture sur papier à en tête de l’imprimerie
Balzac
et de Berny, le 6 août 1826 (détail)
© PMVP, cliché Degrâces
document n°1.
Après avoir obtenu en juin 1826 son brevet d'imprimeur, Balzac
crée avec des associés, en 1827, une société de
fonderie, qui fera faillite l'année suivante. Le document qui suit
est une lettre circulaire destinée à informer la clientèle :
CIRCULAIRE
DE LA FONDERIE LAURENT, BALZAC ET BARBIER
Paris,
le 6 décembre 1827,
M
Nous
avons l'honneur de vous annoncer que nous avons formé, le ler
août dernier, une association de douze années pour l'exploitation
de la Fonderie des caractères d'imprimerie, la gravure sur acier, sur
cuivre et sur bois, la polytypie, etc.
Incessamment,
nous aurons l'avantage de vous adresser les cahiers d'épreuves de nos
caractères et de nos sujets polytypés, vignettes, fleurons, etc.,
qui sont en ce moment sous presse.
Nous
espérons, M[onsieur], que vous voudrez bien continuer de nous honorer de
votre confiance et nous envoyer vos ordres ; M. Laurent étant
entièrement chargé de la direction des ateliers, nous sommes
à même, par les connaissances qu'il possède en tout ce qui
concerne la fonderie, de satisfaire à toute espèce de demande.
Nous
avons récemment acquis dans une adjudication publique tout le
matériel de l'ancienne Fonderie de feu Gillé fils, imprimeur et
fondeur, et nous pouvons facilement fournir les assortiments et les
caractères de cette fonderie dont les types, bien qu'ils soient
différents des nôtres, seront conservés dans notre maison.
Monsieur
Balzac avant seul la signature sociale, veuillez prendre note de celle
apposée ci-dessous, pour y ajouter foi au besoin.
Dans
l'attente de vos ordres, nous avons l'honneur d'être, M[onsieur] vos
dévoués serviteurs
LAURENT,
fondeur,. ci-devant rue du Four S. G., n.11.
H.
BALZAC, A. BARBIER, imprimeurs, rue des Marais S. G, n. 17
Signature
sociale LAURENT, BALZAC. ET BARBIER
MM.
Balzac et Barbier saisissent cette occasion pour vous prévenir qu'ils
ont acheté de M. Pierre Durouchail la communication de ses
procédés de Fontéréotypie.
La
Fontéréotypie est l'art d'obtenir les résultats de la
Stéréotypie, sans avoir besoin de la chaudière à
plonger les matrices ni de tourner, bizoter et corriger les pages.
M.
Laurent ayant consenti à diriger les Ateliers de
Fontéréotypie, a perfectionné les procédés
de M. Durouchail de manière à mettre MM. Balzac et Barbier
à même de fournir, dans le plus court délai possible, tel
nombre de feuilles stéréotypées que l'on pourrait
désirer.
(Corr., I, p.313-315)
document n°2 et 3.
Dans le livre qu'elle consacre à son frère après sa
mort, Laure Surville évoque le jeune Honoré deux fois malheureux
en affaires, d'abord comme éditeur, ensuite comme imprimeur :
Quand
Honoré venait à Paris, il descendait dans l'appartement que mon
père y avait conservé ; là, il s'était lié
avec un voisin à qui il raconta le chagrin que lui causait sa situation
précaire. Ce voisin, homme d'affaires, lui conseilla de chercher, pour
se faire libre, une bonne spéculation, et lui fournit les moyens de
l'entreprendre.
Balzac,
transformé en spéculateur, devait commencer par éditer des
livres ; ce fut effectivement ce qu'il tenta. Le premier, il eut l'idée
des éditions compactes, qui enrichirent depuis la librairie, et publia
en volume les oeuvres complètes de Molière et de
la Fontaine. Il mena de front ces deux publications, tant il craignait qu'on ne
lui enlevât l'une pendant qu'il ferait l'autre. Si ces éditions ne
réussirent, pas, c'est parce que l'éditeur, inconnu en librairie,
ne fut pas soutenu par ses confrères patentés, qui se
refusèrent à vendre et à recevoir ces livres ; la somme
prêtée ne put suffire pour les nombreuses annonces qui auraient
peut-être attiré les acheteurs ; ces éditions
restèrent donc parfaitement inconnues : à une année de
leur publication, mon frère n'en avait pas vendu vingt
exemplaires, et pour ne plus payer le loyer
du magasin où elles étaient entassées et se perdaient, il s'en défit, au prix du poids brut de ce beau
papier qui avait coûté si cher à noircir.
(Balzac, sa vie, ses oeuvres, Paris, Librairie nouvelle, 1858, p.77-78)
Honoré
s'associa alors avec un prote habile qu'il avait remarqué dans les
imprimeries lors de la publication de ses premiers romans ; ce jeune homme,
marié et père de famille, lui inspirait de
l'intérêt, mais il n'apportait malheureusement à
l'association que ses connaissances en typographie ; elles manquaient à
mon frère ; Honoré crut que l'activité et le zèle
de son associé équivaudraient à une mise de fonds.
Les
brevets d'imprimeur étaient chers sous Charles X ; les quinze mille
francs du brevet payés, le matériel acheté, il restait peu
d'argent pour faire face aux frais d'exploitation. Mon frère ne
s'effraya pas ; la jeunesse espère toujours les chances heureuses !
Les
jeunes imprimeurs, installés joyeusement rue des Marais Saint-Germain,
acceptent tous les clients qui se présentent ; les recettes rentrent
difficilement et ne s'équilibrent pas avec les dépenses ; la
gêne se fait bientôt sentir !
Une
magnifique occasion se présente de réunir une fonderie à
l'imprimerie, elle assure de tels bénéfices que, les
autorités compétentes consultées, Honoré
n'hésite pas à s'en rendre acquéreur. Il espère, en
réunissant ces deux entreprises, trouver soit un prêt, soit un
troisième associé. Il s'épuise en démarches
à cet effet ; toutes sont infructueuses, car les sûretés
que son premier créancier a prises priment tout et font échouer
les négociations entamées.
Mon
frère, ayant la faillite en perspective, passa alors par des angoisses
qu'il n'oublia jamais et qui le forcèrent à recourir de nouveau
à sa famille.
(ibid., p.80-81)
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