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ADIEU

Par Gabrielle CHAMARAT

 

I. L'HISTOIRE

Une partie de chasse dans la forêt de L'Isle-Adam pendant l'été 1819 conduit Philippe de Sucy, ancien major de l'armée napoléonienne, revenu de Sibérie depuis 11 mois, et son ami le marquis d'Albon jusqu'à l'ancien prieuré des Bons-Hommes. Deux femmes apparemment dépourvues de raison errent dans le parc. Sucy reconnaît la seconde: il s'agit d'une amie d'enfance, Stéphanie, qu'il a tendrement aimée. Cette rencontre le bouleverse : il doit s'aliter, veillé par un médecin. Au prieuré, cependant le docteur Fanjat, l'oncle de Stéphanie, comtesse de Vandières, raconte à d'Albon comment sa nièce est devenue folle. Le drame se situe le 28 novembre 1812 sur les bords de la Bérésina. Epuisés, tous les traînards de la Grande Armée se sont amassés sur la rive. Le colonel de Sucy veut sauver la vie du général de Vandières et de sa jeune femme qui l'accompagne. Mais, lorsque leur voiture atteint la Bérésina, il est trop tard : les Russes ont donné l'attaque au petit jour et Eblé, passé avec ses hommes de l'autre côté, a donné l'ordre de mettre le feu au pont. Sucy encourage les soldats à construire un radeau. Celui-ci achevé, il obtient à grand peine deux places pour le général (bientôt décapité par un glaçon) et pour sa femme. La comtesse crie « Adieu! » à Philippe qui reste sur la rive, évanoui. Elle est traînée pendant deux ans à la suite de l'armée et ne sait plus dire qu'un mot « Adieu ! ». Son oncle la retrouve par hasard : c'est lui qui l'a installée aux Bons-Hommes. Informé par son ami, Sucy va désormais chercher vainement à se faire reconnaître d'elle. Désespéré, il fait une ultime tentative pour la guérir, par une reconstitution du drame. Elle recouvre un instant la raison, et meurt.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

1) Le manuscrit (Lov. A 2) est constitué de 11folios.Il conserve seulement le début du texte.

–  Dans le manuscrit et jusqu'à l'édition Mame la nouvelle comporte des titres pour chacune des trois parties:

    I     La partie de chasse, rayé. Les Bons-Hommes

    II    Le passage de la Bérésina

    III   La guérison

–  L'héroïne s'appelle Julie jusqu'à l'édition Werdet où Vandières remplace « Marchagny »

–  Le village situé au dessus du parc où Sucy reconstitue le paysage de la Bérésina s'appelle jusqu'à l'édition Werdet « V*** »; il y devient  « Vatout ». Furne en fait « Satout »

2) Première publication dans La Mode sous le titre : Souvenirs soldatesques - Adieu. La nouvelle est publiée en deux livraisons: le 15 mai 1830, Les Bons-Hommes; le 5 juin 1830, Le passage de la Bérésina et La guérison. Le texte non daté est signé H. de Balzac.

3) Publication chez Mame en 1832 au tome III de la seconde édition des Scènes de la vie privée, sous le titre: Le Devoir d'une femme, entre La Bourse et les Célibataires, sans la division en parties.

4) Publication chez Werdet fin 1834 au tome IV des Etudes philosophiques, sous le titre Adieu, à la suite de La Peau de chagrin. La nouvelle, dont le texte a été révisé, est précédée de l'épigraphe suivante tirée de César Birotteau, qui ne sera publié qu'en 1837 :

« Les plus hardis physiologistes sont effrayés par les résultats physiques de ce phénomène moral, qui n'est cependant qu'un foudroiement opéré à l'intérieur et comme tous les phénomènes électriques, bizarre et capricieux dans ses modes » (Etudes philosophiques, tome V, Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, marchand parfumeur, etc.).

Localisation et datation : Paris, mars 1830.

5) Edition Furne au tome XV de La Comédie Humaine, Etudes philosophiques, tome II, 1846. Des corrections ont été faites en 1845. Adieu est situé entre Les Marana et Le Réquisitionnaire. La dédicace: « Au prince Frédéric Schwarzenberg » est substitué à l'épigraphe de 1834. Il y a beaucoup de corrections entre le texte de La Mode et le Furne mais elles touchent le plus souvent à des détails stylistiques. Outre le changement de prénom de l'héroïne, il faut noter l'apparition de la famille des Grandville qui relie Adieu à Une Double Famille.

6) Dans le Catalogue de 1845 Balzac situe Adieu entre L'Enfant maudit et Les Marana. Mais le Furne corrigé ne tient pas compte de ce souhait, et ne comporte d'ailleurs aucune correction sur l'ensemble du texte.

 

III. PERSONNAGES

– Marquis d'ALBON : il a fait une carrière sous l'Empire dans la magistrature; toujours magistrat sous la Restauration, il appartient au parti constitutionnel dirigé par Decazes : au gouvernement entre 1818 et 1820.

– Philippe de SUCY : officier l'armée napoléonienne, prisonnier en Sibérie, rentré en France en 1818. Il se suicidera en 1830, promu général, mais abandonné de Dieu.

– Comtesse Stéphanie de VANDIERES : femme du général comte de Vandières, amie d'enfance de Philippe de Sucy. Elle ne survivra pas à l'éclair de conscience qui la jette dans les bras de Philippe.

Le récit fait allusion aux cinquante soldats engloutis dans la Bérésina pour avoir enfoncé les chevalets des ponts; il signale un seul rescapé qui « souffre dans un village, ignoré ». On peut y lire une annonce du personnage de Gondrin dans Le Médecin de campagne .

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Il est intéressant de remarquer les insertions successives de la nouvelle dans la suite des publications. Dans La Mode, Adieu est placé dans la rubrique Souvenirs soldatesques, ce qui oriente le texte vers des Scènes de la vie militaire. En 1832, Mame publie la nouvelle dans les Scènes de la vie privée. Enfin en 1834, Adieu est définitivement placé dans les Etudes philosophiques, la citation placée en épigraphe faisant foi de sa coïncidence avec leurs axes directeurs. La suppression de cette épigraphe dans Furne permet de supposer que Balzac laisse ouverte la signification philosophique du récit : non sans rapport peut-être avec sa signification privée et militaire. L'origine du drame correspond en effet à un moment-clé de l'histoire de France. Quoi qu'il en soit, la nouvelle est prodigue de richesses, et trop complexe pour se laisser réduire à une seule lecture. L'évocation des désastres de la Bérésina est à elle seule un morceau d'anthologie (où s'annonce Le Colonel Chabert). Quant à la maladie de la malheureuse jeune femme, elle manifeste la curiosité avertie de Balzac pour la médecine de son temps et pour le traitement de la folie mélancolique préconisé en 1819 par Esquirol. Et l'apparition de Stéphanie, effarée et sauvage, reste inoubliable.