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LA BOURSE

par Florence TERRASSE-RIOU

 

I. L'HISTOIRE

Un jeune peintre de talent, Hippolyte Schinner, est secouru dans son atelier par une voisine dont il tombe amoureux. Mais cette Adélaïde est-elle réellement un ange de pureté ? Ou ne vit-elle, avec sa vieille mère, que du jeu et d'intrigues inavouables ? Leur misère couvre-t-elle des vices, ou une haute probité ? Tel est le dilemme qui se pose au jeune homme. Peintre, Schinner est bien un professionnel de l'observation. Il va devoir décrypter, apprécier, interpréter tous les signes qui s'offrent à lui. Mais l'art du diagnostic s'avère ici bien subtil et fragile. Le regard de l'artiste sans cesse assailli de doutes doit « saisir » des « nuances insaisissables ». Le travail de l'interprétation est toujours risqué et le peintre peut sans cesse imaginer le pire : les moindres événements viennent entretenir ses hypothèses les plus sombres et saper sa quête de transparence. Il suffit d'un rien pour que tout bascule dans le mauvais sens, ou, au contraire, « atteste le bon goût ». Le « vol » de la bourse, qui semble dénoncer la vénalité d'Adélaïde de Rouville, révèle la réversibilité des signes.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Il n'existe pas de manuscrit conservé, mais seulement quelques épreuves partielles, inaccessible pour le moment .

– Mai 1832 : 1ère édition, édit. Mame-Delaunay dans le tome III de la 2ème édition des Scènes de la vie privée.

– Novembre 1835 : 2ème édition, édit. Béchet dans le tome IX des Etudes de Moeurs au XIXe siècle, cette fois dans le tome I des Scènes de la vie parisienne.

– Décembre 1839 : 3ème édition, édit. Charpentier dans le tome I des Scènes de la vie parisienne.

– Juin 1842 : 4ème édition, édit. Furne dans le tome I de La Comédie humaine, c'est-à-dire de nouveau dans les Scènes de la vie privée. Cette édition voit apparaître de nouveaux personnages ou de nombreuses variantes onomastiques. 

Dans le Furne corrigé, c'est surtout la description de l'appartement qui est extrêmement travaillée et remaniée. La description de l'intimité naissante des deux jeunes gens est également corrigée par Balzac. La scène du « vol » de la bourse donne lieu à de multiples corrections. En cela la révision opérée sur le Furne est assez exceptionnelle.

 

III. PERSONNAGES

– Jean-Jacques BIXIOU : un ami d'atelier d'Hippolyte Schinner. Dessinateur caricaturiste et mystificateur, il reparaît souvent dans La Comédie humaine comme « l'un des esprits les plus méchants et le plus infatigable railleur de ce temps » (Illusions perdues).

– Joseph BRIDAU : peintre, également ami d'atelier de Schinner. Son histoire est racontée dans La Rabouilleuse. Il reparaît souvent dans La Comédie humaine comme un homme de talent trop longtemps méconnu.

– Chevalier du HALGA : vieillard sec et maigre, débris muet de l'Ancien Régime. Il accompagne chaque jour le comte de Kergarouët chez les Leseigneur de Rouville. Il n'a jamais aimé qu'une seule femme. Son histoire est racontée dans Béatrix.

– Comte de KERGAROUET (amiral) : âgé de plus de soixante ans, il n'en paraît pas cinquante. « Ses gestes, son allure, ses manières annonçaient qu'il ne voulait se corriger ni de son royalisme, ni de sa religion, ni de ses amours ». Il vient chaque soir jouer au piquet chez les Leseigneur d'Hérouville, accompagné du chevalier du Halga, et perd au jeu car « la fierté de la baronne ne lui [laisse] que cet ingénieux moyen de la secourir ». Son histoire est racontée dans Le Bal de Sceaux.

– Baron LESEIGNEUR DE ROUVILLE : capitaine de vaisseau, mort à Batavia des suites d'une blessure reçue dans un combat contre un vaisseau anglais, au cours d'une lutte inégale. Le Directoire puis les Bourbons refusent une pension à sa veuve. 

– Baronne LESEIGNEUR DE ROUVILLE : sa veuve. Sans doute belle autrefois, il ne lui reste plus que le « squelette » d'une physionomie dont on ne sait si elle révèle de la ruse ou de la délicatesse. Elle est condamnée à une vie pauvre, ne s'étant pas suffisamment battue pour « l'évaluation pécuniaire d'un sang irrémédiablement versé ».

– Adélaïde LESEIGNEUR DE ROUVILLE : future baronne Schinner. Jeune fille ravissante, aux manières nobles et simples.

– MOLINEUX : le propriétaire de la maison, dans laquelle il se refuse à effectuer la moindre réparation. Il est le type du « petit rentier grotesque, qui n'existe qu'à Paris, comme un certain lichen ne croît qu'en Islande » (César Birotteau).

– Baron Hippolyte SCHINNER : à vingt-cinq ans, ce jeune peintre brillant connaît déjà la célébrité. Il espère « rendre à sa mère les jouissances dont la société l'[a] privée pendant si longtemps ». Il est doux, poli, bien fait. Maître reconnu, on le retrouve dans Pierre Grassou, La Rabouilleuse, Un début dans la vie.

– Mlle SCHINNER. (mère d'Hippolyte). Fille d'un fermier alsacien, elle n'a jamais été mariée. Abusée par un homme riche, elle se consacre exclusivement à l'éducation de son fils.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

« Joli tableau de chevalet » selon l'expression de Félix Davin (dans son Introduction aux Etudes de moeurs au XIXe siècle), « composition attendrissante et pure », ce court roman ne passionne pas la critique. Outre les effets de diptyque avec La Maison du chat qui pelote, l'univers des dames Leseigneur de Rouville apparaît pourtant comme un bel exemple de survie à huis clos et hors du temps, un peu comme dans Le Cabinet des Antiques. Ces êtres d'un autre siècle, héros anachroniques, surgissent comme des fantômes, morts-vivants qui vivent dans le culte d'un mort illustre. Leurs habitudes immuables témoignent d'une temporalité circulaire qui se refuse à toute ambition téléologique et se réfugie dans la mémoire du passé. On sait combien Balzac affectionne et valorise ces personnages pour lesquels le temps semble s'être arrêté. Leur économie, même, fonctionne ici en autarcie, sous la forme du jeu désintéressé qui n'est que prétexte à dons.