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LE CONTRAT DE MARIAGE

par Isabelle MILLER

 

I. L'HISTOIRE

Lassé de la vie parisienne et des cours d'Europe, le comte Paul de Manerville retourne dans sa province natale, à Bordeaux, avec l'intention de se marier et de mener une vie de gentilhomme. Il ne tarde pas à tomber amoureux de la jeune fille la plus à la mode de la ville, Natalie Evangelista, dont le père était très riche. Il demande bientôt sa main. Au moment de préparer le contrat de mariage, le vieux notaire de famille comprend que, depuis le décès de son mari, Mme Evangelista a dépensé l'héritage de sa fille et qu'elle essaie, avec l'aide de son notaire, de flouer Paul. Il prend des dispositions pour protéger la fortune des Manerville, en particulier par le biais d'un majorat, patrimoine inaliénable destiné à l'aîné mâle et qui doit être transmis de génération en génération. Par dépit d'avoir été démasquée et par vengeance, Mme Evangelista va tenter, avec la complicité de Natalie, de dépouiller Paul de sa fortune au profit de sa fille.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Le Contrat de mariage, sous son titre initial La Fleur des pois a été imaginé, écrit, composé, corrigé, imprimé et mis en vente entre août et novembre 1835.

Le manuscrit et les épreuves sont conservés à la collection Spoelberch de Lovenjoul. Le manuscrit (A 80, fos A, B, et 1-79) comprend l'ensemble du texte plus un chapitre inédit. Dix jeux d'épreuves corrigées sont enregistrés sous la cote A 81, fos 1-282 et trente et un jeux sous la cote A 82, fos 1-307.

La conception de l'ouvrage date d'août 1835, si l'on en croit la lettre du 24 août à Mme Hanska, qui comporte la première trace écrite de l'intention de l'auteur à propos de La Fleur des pois. Ce titre est récupéré d'une ébauche qui date de 1834, et qui est un des avant-textes de La Vieille Fille. « La Fleur des Pois » est le surnom que reçoit Paul de Manerville à son arrivée à Bordeaux, à cause de son langage maniéré et de ses façons parisiennes. Une autre lettre (21-22 novembre) permet de dater le début de la rédaction autour du 8 septembre. Le dernier feuillet du manuscrit porte la date du 25 octobre, conformément à l'engagement de Balzac envers Mme Béchet, à qui il avait promis le manuscrit pour cette date. Ainsi, entre le 8 septembre et le 25 octobre, Balzac rédige d'abord trois chapitres paginés par lui à la suite (A 80, fos 1-38) intitulés « Préambule », « Le Contrat de mariage », « La Lune de miel ». Puis il en compose un quatrième, « La Séparation », paginé séparément (A 80, fos 51-56). Il décide de supprimer le chapitre « La Lune de miel », déjà parti à l'imprimerie dans un premier envoi. Il envoie donc le manuscrit de « La Séparation » à l'imprimerie en réclamant la fin du chapitre « Le Contrat de mariage », afin de faire le raccord.

Les corrections sur épreuves sont l'occasion de changements importants, de déplacements d'éléments d'un chapitre à l'autre, d'ajouts originaux ou puisés dans le chapitre supprimé. Concernant le premier chapitre, « le Préambule », le titre est changé en : « Le Pour et le Contre ». Sur la quatrième série d'épreuves de ce chapitre, Balzac utilise un extrait du chapitre abandonné « La Lune de miel » pour étoffer la conversation entre Paul de Manerville et Henri de Marsay. Le second chapitre est restructuré et, à l'occasion du 11e jeu d'épreuves, divisé en deux parties intitulées « Première journée » et « Deuxième journée » ; enfin il est augmenté d'une « Troisième Journée », celle de l'établissement des contrats.

Puis Balzac corrige les épreuves de ce qui est devenu, avec la suppression de « La Lune de miel », le troisième chapitre, « La Séparation ». Chapitre auquel il ajoute les trois premières lettres, rédigées à la suite, et intitulées sur les manuscrits : « Lettre de Paul de Manerville à sa femme », « Lettre de la comtesse de Manerville à son mari », « Lettre du comte Paul de Manerville à M. Henri de Marsay ». Les variations de texte entre manuscrits et épreuves permettent d'affirmer que la quatrième et dernière lettre, la réponse de Marsay, est écrite en dernier, mais envoyée à l'imprimerie avant les manuscrits des trois premières lettres et les épreuves corrigées de « La Séparation ». Cette dernière lettre est elle-même largement augmentée d'extraits du chapitre abandonné « La Lune de miel », comme les réflexions sur la femme à la mode ou encore les illusions qu'entretient Paul quant à l'attitude froide de sa femme et les développements sur les statuts du mari et de l'amant.

La Revue étrangère de Saint-Petersbourg publie les bonnes feuilles de La Fleur des pois les 31 octobre, 30 novembre et 30 décembre 1835. 

– L'édition originale paraît dans le second volume in-8 de la troisième édition des Scènes de la vie privée, par M. de Balzac, chez Mme Charles-Béchet, tome II des Etudes de moeurs au XIXe siècle. Ce volume contient également La Paix du ménage, il est mis en vente le 13 novembre. Un extrait, intitulé Les deux notaires, paraît le 4 décembre 1835 dans Le Cabinet de lecture.

– Deuxième édition dans Les Scènes de la vie privée par M. de Balzac, 1ère série, 1er volume in-12 chez Charpentier, 1839.

– Avec la troisième édition, Furne-Hetzel en 1842 dans La Comédie humaine, t. III, Scènes de la vie privée, livre III, apparaît la dédicace à G. Rossini. D'autre part « La Séparation » devient « Conclusion », les titres des deux dernières lettres varient légèrement et deviennent : « Lettre du comte Paul de Manerville à M. le marquis Henri de Marsay », « Réponse du marquis Henri de Marsay au comte Paul de Manerville ». Très peu de modifications dans le Furne corrigé.

 

III. PERSONNAGES

Reparaissant dans La Comédie humaine 

– Comtesse Natalie de MANERVILLE (née Évangélista) : « un petit crocodile habillée en femme » ; si elle ne touche pas l'héritage de son père, elle a hérité de la duplicité de sa mère. Tandis qu'elle ruine son mari, elle reçoit avec ironie le récit des amours de Félix de Vandenesse, son amant. (Le Lys dans la vallée). Mais la romanesque Natalie soit la fille d'une aristocrate un peu aventurière (se méfier des espagnoles ?), qu'elle se marie aux flambeaux, à minuit, et qu'elle connaisse aussi l'art d'intriguer, éclaire autrement la lettre-roman de Félix qui manifestement se trompe ou s'aveugle sur sa destinataire.  

– Comte Paul de MANERVILLE : un ancien du collège de Vendôme, époux de Natalie, « un homme élégant mais pas un homme à la mode », surnommé La Fleur des Pois, surnom difficile à porter, qui fournit le titre original du roman. Fils unique, il dilapide la fortune de sa famille. Il prend le pseudonyme de M. Camille lorsque, ruiné, il s'embarque pour les Indes qui semblent décidément l'Eldorado de plusieurs dans La Comédie humaine. Pour sa vie de jeune homme, voir La Fille aux yeux d'or et Illusions perdues.

– Marquis Henri de MARSAY : un des piliers de La Comédie humaine, fils naturel de Lord Dudley ; il joue ici plus que les utilités, il intervient efficacement. C'est l'année (1827) de ses débuts en politique. Et il appartient aussi, comme madame Évangélista, à l'illustre maison de Casa-Réal.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Le Contrat de mariage est l'un de ces textes courts, assez peu pratiqués où se croisent divers personnages de La Comédie humaine peu de temps après l'invention de leur retour. Des bancs d'essai, en quelque sorte, pour l'efficacité et le rendement du procédé. Par exemple, en révélant à Paul de Manerville la machination de sa belle mère et la liaison de sa femme avec Félix de Vandenesse, Henri de Marsay, un grand reparaissant, fournit au lecteur le lien qui permet de rattacher Le Contrat de mariage au Lys dans la vallée. Et d'autre part donner comme titre général au roman celui du seul second chapitre, c'est en déplacer le centre de gravité du personnage de Paul de Manerville vers les tractations financières qui sous-tendent les relations sociales et amoureuses. On notera enfin la manière d'associer, ici par juxtaposition, de l'épistolaire et du narratif, ce qui redouble les effets.