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LA FAUSSE MAITRESSE

par Florence TERRASSE-RIOU

I. L'HISTOIRE

Mademoiselle du Rouvre a épousé il y a deux ans le comte Adam Laginski. Or Clémentine a découvert « depuis deux jours seulement » quelque chose dans sa maison « qui ressemble à un secret, à un mystère » : « Qu'est-ce que c'est que Paz ? » : Paz est une ombre, Paz est un « repoussoir », Paz est un « factotum » ; « parent pauvre », Paz est « un amphibie social ». Dès le début du roman, Clémentine se sait « mariée à deux Polonais ». Cette situation triangulaire classique est ici étonnamment liée à des données économiques : Clémentine est définie avant tout comme « une riche héritière » et Adam est socialement situable parce qu'il paie ses dettes de jeu. Riches tous deux, ils peuvent se marier, mais leur faiblesse est d'avoir besoin de quelqu'un qui gère leur fortune. Paz, lui, sait payer les choses au moindre prix, il connaît les valeurs réelles. Son sens de l'économie est rigoureux, vigilant et omniprésent, tandis que le mari perd au jeu. Cet amant inavoué est un parfait gestionnaire : La Fausse Maîtresse est l'histoire d'un amour vécu par procuration sur fond de gestion d'un budget.

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Le manuscrit, complet, et les épreuves sont à la bibliothèque Lovenjoul (cote A 74). Le manuscrit comporte 38 folios et a été écrit d'un seul trait. Les épreuves voient apparaître la division en feuilletons. On dispose de trois jeux d'épreuves portant des corrections de Balzac.

– 24-28 décembre 1841 : première parution dans Le Siècle, en 5 chapitres :            1. « Un mystère dans le bonheur »            2. « Deux nouveaux amis du Monomotapa »            3. « Malaga »            4. « Un homme incompris »            5. « Paz partout ». 

– Juin 1842 : première édition, édit. Furne. (Dans La Comédie humaine, au tome I ; c'est le 8ème roman, après La Paix du ménage, et avant Etude de femme et Albert Savarus qui sont les deux derniers romans du volume.

– Juin 1844 : une édition de Louis-Fortuné Loquin, à Lagny, avec Un début dans la vie. Elle prend beaucoup de libertés avec le texte balzacien, notamment en divisant le texte en 10 parties pour « gagner des pages ». Les coquilles et corrections abusives s'y multiplient également. Cette édition n'a pas été revue par Balzac. 

– Tout à la fin du Furne corrigé, sur la page de garde, on voit que Balzac change toute la « numérotation » de ses romans : La Fausse Maîtresse passe finalement du n° 16 au n° 13, c'est-à-dire vient après Etude de femme (qui passe du n° 15 au n° 12) et avant Une fille d'Eve (qui passe du n° 17 au n° 14).

III. PERSONNAGES

– Renée de L'ESTORADE : amie de la comtesse Laginska, une des « reines de Paris ». Son histoire est racontée dans les Mémoires de deux jeunes Mariées (1842).

– FLORINE (Sophie Grignoult, dite) : personnage important de La Comédie humaine. Le marquis du Rouvre a dissipé sa fortune pour elle, « une des plus charmantes actrices de Paris ». Lancée dans Illusions perdues, elle aura une longue liaison avec Natan (Une fille d'Eve), qu'elle finit par épouser.

– Comte Adam-Mitgislas LAGINSKI : noble polonais fortuné, horriblement laid, il possède des manières et un ton exquis. Il est joueur.

– Comte Charles-Edouard Rusticoli de LA PALFÉRINE : « Un des lions les plus entreprenants du Paris actuel ». A la fin du roman, il tente d'enlever la comtesse Laginska. Il joue aussi un rôle très important dans le dénouement de Béatrix. Ses débuts sont racontés dans Un prince de la Bohème.

– Marguerite Turquet MALAGA : écuyère de cirque. « Fausse maîtresse » de Paz, elle deviendra la « vraie » maîtresse du comte Laginski à la fin du roman. Elle a un rôle important dans La Cousine Bette.

– Comte Thaddée PAZ : noble polonais, ami et intendant volontaire du comte Laginski. Il est juste cité dans La Cousine Bette.

– Marquis de RONQUEROLLES : frère de la comtesse de Sérisy, il assure l'avenir matériel de Clémentine du Rouvre, sa nièce. Il reparaît très souvent dans La Comédie humaine, comme l'un des « illustres impertinents de l'époque » (Le Père Goriot).

– Clémentine du ROUVRE (comtesse Laginska) : riche héritière, du fait des dispositions prises en sa faveur par ses oncles et sa tente. « Elle eût paru ravissante à un homme blasé ».

– Madame de SÉRISY : tante de Clémentine du Rouvre, elle assure sa fortune. Grande figure de La Comédie humaine, on la retrouve dans Splendeurs et misères des courtisanes.

– Comte Wenceslas STEINBOCK : sculpteur d'origine polonaise, son histoire est racontée dans La Cousine Bette. Il décore l'hôtel Laginski.

– Maxime de TRAILLES : son jugement sur le comte Laginski : « Tous ces Polonais se prétendent grands seigneurs. (...). Mais celui-ci paie ses dettes de jeu ; je commence à croire qu'il a eu des terres ». C'est une des grandes figures de La Comédie humaine. Il abandonne Anastasie de Restaud dans Le Père Goriot. C'est le roué par excellence.

A noter également la présence, au moins onomastique, de plusieurs « reines de Paris » (et grandes figures de La Comédie humaine) : Renée de l'Estorade, Diane de Maufrigneuse, Madame de Portenduère (Ursule Mirouet), Marie de Vandenesse.

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Cette oeuvre fut conçue et rédigée dans la hâte. La critique biographique incite à lire ce livre comme un plaidoyer : l'année 1841 est « une année de crise latente » entre Balzac et Mme Hanska, car celle-ci lui reproche les multiples liaisons que lui prête la rumeur publique. Mais René Guise, dans son introduction pour l'édition de La Pléiade, note que Balzac a envisagé très tôt ce sujet, noté dans Pensées, sujets, fragments (Lov. A 182) : « Un homme magnifiquement obligé par un autre, amoureux de la femme de son bienfaiteur, vivant avec eux, assassiné tous les jours, et dépérissant de chagrin » et qu'il a traité ce thème, en 1832, dans le huitième récit du premier dizain des Contes drolatiques : Le Frère d'armes. En 1835, dans La Fille aux yeux d'or, de Marsay expose sa théorie de « la femme-écran » : « la maîtresse que l'on se donne ostensiblement pour sauvegarder l'honneur de celle que nous aimons assez pour la respecter ». On pense aussi à la fausse aventure de Fabrice avec la comédienne Marietta, dans La Chartreuse de Parme de Stendhal. René Guise analyse également la filiation avec Les Affinités électives de Goethe.