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LA FEMME ABANDONNEE

par Franc SCHUEREWEGEN

 

I. L'HISTOIRE

C'est dans Le Père Goriot qu'est raconté l'adieu à la vie mondaine de Claire de Beauséant qui reçoit tout Paris le jour même où l'abandonne le marquis d'Ajuda-Pinto. La suite, nous l'apprenons ici, dans ce très beau texte-poème qui est à la fois une scène de la vie privée et une scène de la vie de province, sous le double signe de l'amour et de la mort : le premier amour d'un jeune homme sans expérience, Gaston, vient briser la solitude de la femme abandonnée ; suit une période de bonheur parfait au bord du lac de Genève ; mais le couple est obligé de s'installer en Normandie où habite la mère de Gaston, la dévote Mme de Nueil qui réussit aussi à « embaucher son fils pour la Vertu ». Gaston accepte d'épouser une héritière insignifiante. Sa vie lui semble dénuée de sens à partir de cet instant : il se tue avec son fusil de chasse pendant que sa fille et sa femme se tiennent dans la pièce voisine.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Nous savons très peu de la conception et de l'exécution de la nouvelle. Le manuscrit (conservé à la fondation Bodmer, près de Genève) diffère peu du texte imprimé. La publication préoriginale eut lieu dans la Revue de Paris en septembre 1832.

– L'édition originale est celle du tome II des Scènes de la vie de province, sixième volume des Etudes de moeurs au XIXe siècle éditées par Mme Béchet (décembre 1833). Elle comporte quelques corrections.

– La deuxième édition, identique à l'édition originale, sera donnée chez Charpentier en novembre 1839.

– La troisième édition, Furne, en novembre 1842, dans les Scènes de la vie privée, avec une dédicace à la duchesse d'Abrantès et la mention : « Angoulême, septembre 1832 » (date fictive).

– Sur le Furne corrigé Balzac a porté quelques rares corrections. Elles concernent essentiellement les noms des personnages fictifs, qui remplacent des noms historiques.

 

III. PERSONNAGES

– Marquis Miguel d'AJUDA-PINTO : riche noble portugais, très à la mode dans le Tout-Paris des années 1820 ; c'est lui qui, le premier, fera de Claire « la femme abandonnée ». On l'a rencontré (ou on le rencontrera) dans Le Père Goriot, La Duchesse de Langeais, Le Cabinet des antiques, Béatrix, Splendeurs et misères des courtisanes.

– Vicomtesse de BEAUSÉANT : née Claire de Bourgogne. La famille de Beauséant appartient à l'armorial de La Comédie humaine. Claire règne sur le faubourg Saint-Germain avant sa retraite en Normandie.

– Comte Gaston de NUEIL (1800-1831) : devient en Normandie l'amant de Claire, qui le subjugue. Sa mère, veuve en 1825, refuse de recevoir Mme de Beauséant et le pousse  à épouser Stéphanie de La Rodière.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Le thème de l'abandon est récurrent dans La Comédie humaine. Il en existe d'ailleurs deux cas de figure, féminin et masculin (cf. Le Médecin de campagne et Eugénie Grandet). Pour le volet féminin, si brillamment illustré ici, Balzac l'aborde d'une façon qu'on pourrait appeler pré-féministe. Il s'intéresse en effet, avec toute sa sensibilité d'homme et d'écrivain, à un cas social fortement enraciné dans la réalité historique de son temps. Et nous voyons bien de quel côté vont ses sympathies, même si la nouvelle illustre elle aussi, comme La Femme de trente ans et La Grande Bretèche, les ravages que risque toujours d'entraîner l'adultère féminin.