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ILLUSIONS PERDUES

par Joëlle GLEIZE

I. L'HISTOIRE

La formule de Balzac pour qualifier Illusions perdues : « l'oeuvre capitale dans l'oeuvre » dit assez son importance en même temps qu'elle suggère quelque chose de plus. Roman sur le fonctionnement de la machine littérature, roman où se retrouvent les principaux personnages reparaissants du monde balzacien, il est aussi, par sa composition tripartite, par son prolongement dans Splendeurs et misères des courtisanes, une image réduite de La Comédie humaine, son « miroir concentrique ».

Première partie : LES DEUX POETES

Le roman semble d'abord avoir un double héros, Lucien Chardon et David Séchard, jeunes gens de talent et sans fortune : l'un est fils de pharmacien et veut devenir un grand poète, l'autre est fils d'imprimeur et veut inventer un nouveau mode de fabrication du papier. Leur caractère, leur physique, leurs désirs les opposent. La beauté et le charme de Lucien l'introduisent dans le milieu aristocratique d'Angoulême où Mme de Bargeton se fait sa protectrice et sa muse. David est épris de la soeur de Lucien, Eve, avec qui il partage amour et dévouement pour son frère. 

Leurs destinées divergent alors. L'avenir de David est auprès d'Eve et dans l'imprimerie de son père où il peut mener ses recherches sur le papier. Celui de Lucien ne peut s'accomplir qu'à Paris, lieu de consécration des talents littéraires. Il s'y rend, fuyant avec Mme de Bargeton les rumeurs et les petitesses de la province.

Deuxième partie : UN GRAND HOMME DE PROVINCE A PARIS

Mais Paris est aussi le lieu de la perte des illusions sur l'être aimé et l'amour des deux amants d'Angoulême ne résiste pas aux éblouissements d'une soirée d'opéra. Lucien, privé de sa protectrice, se résout à vivre frugalement et se remet au travail sur ses manuscrits. Il fait la connaissance d'un jeune écrivain, d'Arthez, et d'un journaliste, Lousteau. Incité par l'un à suivre la voie difficile du travail solitaire, il choisit de suivre celle dont on lui a pourtant montré les dangers, la recherche du succès immédiat par le journalisme. Amant adulé de l'actrice Coralie, il mène ainsi quelque temps une existence brillante, mais s'attire des inimitiés ; victime de ses contradictions et de la vengeance de Mme de Bargeton, il se retrouve seul à la mort de Coralie et repart pour Angoulême.

Troisième partie : EVE ET DAVID

Pendant que David consacre tout son temps à ses recherches sur le papier, Eve tente de le remplacer à l'imprimerie ; mais elle se trouve en butte aux manoeuvres des frères Cointet qui veulent ruiner une entreprise concurrente et s'emparer de l'éventuelle découverte de l'inventeur. L'arrivée de Lucien, auteur de faux billets qui font peser sur David la menace d'une arrestation, ses repentirs successifs, ses tentatives désastreuses pour réparer ses fautes, ne font qu'accélérer la victoire des imprimeurs. Lucien quitte Angoulême avec l'intention de se tuer, mais il rencontre sur la route un prêtre espagnol. Cette rencontre tient à la fois du ravissement (rapt et séduction), de la dépossession de soi et de la renaissance : au prix d'un étrange pacte, Lucien peut repartir à la conquête de Paris. Illusions perdues s'ouvre sur Splendeurs et misères des courtisanes.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Les trois romans, publiés successivement en 1837 chez Werdet pour le premier, Illusions perdues, en 1839 chez Souverain pour le second, Un grand homme de province à Paris, en 1843 chez Furne pour le troisième, Eve et David, sont rassemblés pour la première fois en 1843 chez Furne au tome VIII de La Comédie humaine, sous le titre Illusions perdues. Le titre de la première partie devient Les Deux Poètes, le titre de la troisième redeviendra Les Souffrances de l'inventeur dans le Catalogue de 1845 et dans le Furne corrigé.

– Pour Les deux poètes, on dispose du manuscrit complet, des placards et des épreuves corrigées. Le manuscrit, les placards corrigés correspondant au « manuscrit de Saché » (fol. 98 à 192), et les épreuves se trouvent à la bibliothèque de l'Institut (fonds Lovenjoul), sous la cote A 103. Le manuscrit se compose de 97 feuillets et d'une page de titre ; celle-ci comporte des notes qu'on a pu considérer comme antérieures au manuscrit (Pierre Citron, A.B. 1963). Le manuscrit a été édité en 1959 chez Armand Colin, par Suzanne Bérard qui l'étudie dans La Genèse d'un roman de Balzac. Les 33 jeux d'épreuves que possède le fonds Lovenjoul ne portent pas sur la totalité du texte mais sur des fragments. Ils se trouvent sous les cotes A 104, A 105 et A 106, celle-ci comportant le manuscrit et trois épreuves de la préface.

– Les 164 feuillets du manuscrit complet d'Un grand homme de province à Paris se trouvent avec un ajouté de 5 pages à la bibliothèque de l'Institut (Lov.) sous la cote A 107. On ne connaît des épreuves qu'une série de placards corrigés correspondant à la fin du second volume de l'édition Souverain (cote A 229). 

– On ne possède pour Eve et David ni manuscrit ni épreuves. On sait cependant par une lettre à Mme Hanska, que Balzac a corrigé parfois jusqu'à 19 épreuves pour chaque feuille (lettre du 7 juillet 1843, LHB I, 704).

D'ILLUSIONS PERDUES AUX DEUX POETES

Le titre Illusions perdues apparaît dès 1833 dans l'annonce du tome IV des Scènes de la vie de province ; il est prévu comme un texte court puisqu'il ne doit former qu'un seul volume avec Fragment d'histoire générale (Les Héritiers Boirouge).

Pour répondre aux exigences de Mme Béchet et livrer une oeuvre payée d'avance et qu'il aurait dû fournir en février 1836, Balzac commence la rédaction en juin, à Saché, et rédige 40 feuillets à partir du 20 juin. Ayant obtenu un délai de Werdet à qui Mme Béchet a cédé ses droits, la rédaction de ce qui doit désormais comporter deux volumes sera ensuite plus discontinue. Il la reprend en novembre, travaille intensément et le volume est annoncé dans la Bibliographie de la France le 11 février 1837. Un exemple peut donner la mesure de son énorme travail de correction sur épreuves : dans le récit de la soirée de Mme de Bargeton, tout ce qui suit la lecture par Lucien de ses poèmes a été rajouté sur épreuves.

1. L'édition originale d'Illusions perdues publiée par Werdet (Etudes des moeurs au XIXe siècle) dans la première édition (1837) des Scènes de la vie de province, IV, comporte une préface et une division en chapitres.

2. La seconde édition, dans la bibliothèque Charpentier en novembre 1839, se présente également avec des chapitres mais la préface a été supprimée.

3. La troisième édition au tome VIII de La Comédie humaine, Scènes de la vie de province, par Furne, Dubochet, Hetzel fait apparaître des remaniements : le titre de ce qui est la 1ère partie d'Illusions perdues devient Les Deux Poètes ; la dédicace à Victor Hugo n'apparaît que dans cette édition ; la fin du texte, qui allait auparavant jusqu'à « sans amis, sans protecteurs », passe dans la seconde partie du roman. 

4. L'édition Furne corrigée par l'auteur présente une modification essentielle : le déplacement du développement sur le papier. Cette digression sur l'imprimerie, longue d'environ cinq pages, est détachée de la troisième partie pour être placée dans la première, où elle est plus continûment attribuée à David. Cela a pour effet de resserrer les liens entre les deux pans extrêmes du triptyque et de souligner la différence des projets de David et de Lucien. Le travail d'insertion entraîne des modifications : addition d'une transition, changement de temps et une préparation par l'allusion à l'actualité de cette question discutée chez Didot. Le Furne corrigé poursuit d'autre part le travail de liaison des parties I et III en introduisant dès la Ière partie les personnages de Petit-Claud le clerc, à qui est attribué un propos auparavant anonyme, de Cerizet l'apprenti de David, d'abord non nommé et qui jouera lui aussi un rôle important dans la lutte avec les Cointet, mais aussi de Mlle de la Haye et Mme Prieur. Des corrections de détail apparaissent nombreuses dans le début, plusieurs concernent les passages sur la noblesse d'Angoulême.

UN GRAND HOMME DE PROVINCE A PARIS

Cette seconde partie est conçue comme une peinture du journalisme dès la fin 1836 et la rédaction de la première. La rédaction est sans doute commencée à la fin de 1837 ; Balzac dit vouloir l'achever en octobre 1838, mais il rédige d'abord La Torpille (soit la suite des aventures de Lucien après son retour à Paris) et La Maison Nucingen. Le 12 novembre 1838, il signe un traité avec Hippolyte Souverain, promet le manuscrit pour le 15 décembre mais ne l'envoie sans doute que fin janvier ou début février. Balzac semble connaître des difficultés dans la correction des épreuves qui nécessitent d'importants remaniements et plusieurs mois de travail (de février à mai). Les pages concernant d'Arthez et le Cénacle, par exemple, ont été profondément remaniées : le portrait de d'Arthez qui précèdait dans le manuscrit la première visite aux libraires lui succède, les pages sur le Cénacle se développent au point de faire se dédoubler le chapitre qui le présente et les membres du groupe s'augmentent de trois noms (Giraud, Brideau et Ridal). La confrontation du manuscrit avec l'édition originale permet ainsi, malgré la perte de la plupart des épreuves, de prendre la mesure du travail de correction postérieur au manuscrit.

1. L'édition originale chez H. Souverain, annoncée dans la Bibliographie de la France le 15 juin 1839, en 2 volumes in-8, comporte une préface et un découpage en chapitres. Elle a été précédée par la publication, le 4 juin, dans La Presse, d'extraits des chapitres XVII et XVIII : « Comment se font les petits journaux ».

2. La seconde édition, au t. VIII de La Comédie humaine, et au t. IV des Scènes de la vie de province, chez Furne, Dubochet, Hetzel, est annoncée par la Bibliographie de la France le 27 juillet 1843 ; elle comporte le sous-titre IIe partie. Le début est constitué de la fin de la première partie dans l'édition antérieure, et commence par le voyage de Lucien et Mme de Bargeton vers Paris.

Les remaniements sont assez nombreux, les plus significatifs sont ceux qui contribuent à renforcer l'autonomie du monde de La Comédie humaine, en effaçant les allusions à des personnalités existantes pour référer à des personnages fictifs : telles les allusions à Delphine de Girardin qui s'effacent au profit de Camille Maupin ; le nom de Canalis remplace également celui de Lamartine. De nombreuses corrections de détail portent sur les passages concernant l'évolution de la librairie.

3. Sur le Furne corrigé, Balzac poursuit le travail de liaison avec La Comédie humaine et renforce son autonomie : il introduit le nom de Mme de Mortsauf, et modifie le portrait de Canalis en le conformant au personnage élaboré dans Modeste Mignon. Canalis est distingué de Lamartine, devient poète câlin plutôt que sublime, et de nombreuses allusions sont faites à sa liaison avec la duchesse de Chaulieu, utilisée comme argument contre celle de Lucien avec Mme de Bargeton. Balzac aggrave également l'humiliation de Lucien désespéré de la mort de Coralie en lui apportant l'aide financière de Camusot.

DES SOUFFRANCES DE L'INVENTEUR A EVE ET DAVID

Le titre a connu de nombreuses variantes : Les Souffrances de l'inventeur désigne cette dernière partie dès 1839 dans la préface de la seconde partie. Ce titre devient le second titre de David Séchard, titre du feuilleton et de l'édition Dumont. L'édition Furne présente un nouveau titre, Eve et David, et le Furne corrigé revient au plus ancien Les Souffrances de l'inventeur.

Balzac tarde à rédiger ce dernier volume, prévu pourtant dès 1839, mais qui doit pouvoir « lutter contre le tableau de Paris » du volume précédent. A peine commencée en avril 1843, la première moitié en est rédigée en mai, puis la rédaction bute sur les difficultés du récit du drame judiciaire de David. C'est la contrainte d'une publication triple et simultanée en feuilleton, dans le volume VIII de La Comédie humaine et en édition séparée chez Dumont qui oblige Balzac à achever en juin 1843. On ne peut dire que l'une de ses éditions soit antérieure ou postérieure à l'autre, car chacune, tour à tour, a servi de copie à l'autre : par exemple les bonnes feuilles de l'édition Dumont pourtant plus tardive, ont été utilisées pour l'édition Furne. Les corrections sur épreuves sont particulièrement nombreuses, et Balzac évalue à 1200 heures le temps de correction de ce volume.

1. Sous le titre David Séchard ou les souffrances de l'inventeur, le roman paraît en feuilleton dans L'Etat du 9 au 19 juin, puis s'interrompt en même temps que le journal et reprend le 27 juillet (jusqu'au 14 août) dans Le Parisien-L'Etat, après l'édition Furne.

1bis. Sous le titre Eve et David, le roman paraît le 29 juillet 1843, en tant que dernière partie d'Illusions perdues dans le volume VIII de La Comédie humaine, chez Furne, t. IV des Scènes de la vie de province. Comme auparavant pour cette édition, préface et chapitres sont supprimés. Les dernières pages de la deuxième partie dans l'édition Souverain constituent le début de la troisième : celle-ci commence par le voyage de retour à Angoulême.

1ter. David Séchard paraît le 4-8 novembre 1843, en 2 volumes in-8, chez Dumont. Comme le feuilleton, cette édition comporte préface et chapitres et commence à l'arrivée de Lucien chez le meunier de Marsac. 

2. Le Furne corrigé comporte de nombreuses corrections stylistiques, et deux remaniements particulièrement importants : le début du roman est allégé du développement sur la fabrication du papier, dont il a été dit qu'il était inséré dans la première partie ; cela entraîne des aménagements locaux. La réécriture de la fin porte sur la rencontre de Lucien et d'Herrera et accentue les comportements ambigus du prêtre espagnol en rendant plus manifeste son homosexualité. Des corrections concernent les personnages de Cérizet et David : les unes esquissent l'avenir aussi bien politique qu'amoureux du premier, les autres tendent à héroïser le personnage de David, comparé à Moïse.

 

III. PERSONNAGES

Le monde des personnages d'Illusions perdues est d'une exceptionnelle richesse en raison du rôle charnière que joue le roman entre les Scènes de la vie parisienne et les Scènes de la vie de province, et de l'aller-retour entre Angoulême et Paris qui structure le roman. Aux côtés d'un personnel romanesque spécifique au monde fermé d'Angoulême et à celui de la librairie parisienne, qui ne reparaît que rarement dans d'autres textes, le roman, et tout particulièrement Un grand homme de province à Paris, permet de mesurer la densité et la diversité du monde de La Comédie humaine. Balzac peuple les grandes scènes collectives de ses personnages reparaissants et remplace des personnages historiques par des personnages fictifs (Lamartine par Canalis par exemple). Parisiens et provinciaux, nobles et bourgeois, négociants et artistes, professionnels du livre et du théâtre, journalistes et écrivains, toutes les figures de l'« homme social » balzacien se trouvent concentrées dans Illusions perdues.

– Daniel d'ARTHEZ : écrivain jeune et pauvre, membre principal du Cénacle. Il deviendra célèbre, riche et député de la Droite en 1830. La Princesse de Cadignan fait sa conquête dans Les Secrets de la Princesse de Cadignan.

– BARBET : libraire et escompteur. Il l'est encore dans Les Petits Bourgeois, Un homme d'affaires.

– Mme Marie-Louise Anaïs de BARGETON : née de Nègrepelisse, puis après son installation à Paris et son veuvage, devient baronne puis comtesse du Châtelet.

– Fanny BEAUPRE : célèbre lorette, remplace Coralie auprès de Camusot, puis est entretenue par le duc d'Hérouville. Voir Un début dans la vie, Modeste Mignon, Splendeurs et misères des courtisanes.

– BERENICE : femme de chambre de Coralie.

– Horace BIANCHON : étudiant pauvre puis médecin, célèbre professeur à la faculté de médecine de Paris. Présent dans de très nombreux romans, sa jeunesse est racontée dans Le Père Goriot. La Messe de l'athée évoque son maître Despleins. Il est aux côtés de Lousteau dans La Muse du département, soigne des personnages d'Un prince de la bohème, de La Cousine Bette.

– Jean-Jacques BIXIOU : caricaturiste, d'abord fonctionnaire puis journaliste, connu pour sa verve railleuse. Il intervient dans La Rabouilleuse, La Muse du département, Splendeurs et misères des courtisanes, La Maison Nucingen, pour mystifier ou dénoncer par des charges vengeresses.

– Emile BLONDET : journaliste et grand critique, il est introduit dans la haute société par la comtesse de Montcornet. Il apparaît dans Le Cabinet des Antiques, Splendeurs et misères des courtisanes, Les Secrets de la princesse de Cadignan, Une fille d'Eve, La Maison Nucingen, et devient préfet dans Les Paysans.

– BRAULARD : chef de claque. On le retrouve tel dans La Cousine Bette.

– Joseph BRIDEAU : étudiant à l'Ecole des Beaux-Arts, devient un peintre célèbre. Il est un des protagonistes de La Rabouilleuse, et intervient dans Un début dans la vie, La Cousine Bette, Pierre Grassou.

– CAMUSOT : commerçant en soieries, ami des Guillaume dans La Maison du chat-qui-pelote, de Birotteau dans César Birotteau, il entretient Coralie, puis Fanny Beaupré, devient baron et député sous la Monarchie de Juillet. Voir Le Cousin Pons.

– Baron de CANALIS : poète et maître des requêtes au Conseil d'Etat, amant de la duchesse de Chaulieu, devient député. Il cherche à faire un riche mariage dans Modeste Mignon, est pair de France dans Un début dans la vie.

– CERIZET : employé d'imprimerie, s'engage dans le parti libéral, devient homme d'affaires et usurier à Paris. Voir Un homme d'affaires, Splendeurs et misères des courtisanes, Les Petits Bourgeois.   

– CHABOISSEAU : libraire escompteur. On le retrouve dans Les Employés, Un homme d'affaires, Les Petits Bourgeois.

– Mme Vve CHARDON : née de Rubempré, mère de Lucien, meurt en 1827. Voir Splendeurs et misères des courtisanes.

– Michel CHRESTIEN : membre du Cénacle, épris de la duchesse de Maufrigneuse, meurt au cloître Saint-Merri en 1832 (Les Secrets de la Princesse de Cadignan).

– Les frères COINTET : imprimeurs à Angoulême. L'aîné devient ministre en 1836 (La Maison Nucingen).

– Jacques COLLIN : pensionnaire de Mme Vauquer dans Le Père Goriot sous le nom de Vautrin. Reconnu pour un ancien forçat et arrêté, il s'évade, devient l'abbé Carlos Herrera et se fait le protecteur et le créateur de Lucien à la fin d'Illusions perdues et dans Splendeurs et misères des courtisanes. Entre dans la police qu'il dirige dans La Cousine Bette.

– CORALIE : comédienne, maîtresse de Camusot après l'avoir été de de Marsay, amante de Lucien. Elle sert de modèle à Joseph Brideau dans La Rabouilleuse

– DAURIAT : libraire au Palais-Royal, n'édite Les Marguerites, de Lucien de Rubempré qu'en 1825, dans Splendeurs et misères des courtisanes. Est l'éditeur de Canalis dans Modeste Mignon.

– Baron du CHATELET : né Sixte Châtelet, a participé à l'expédition d'Afrique du général Montriveau, devient député. Voir La Duchesse de Langeais, Splendeurs et misères des courtisanes.

– Marquise d'ESPARD : grande dame du faubourg Saint-Germain, présente dans de nombreux romans (Splendeurs et misères des courtisanes, Une fille d'Eve, Béatrix) ; elle est la protagoniste de L'Interdiction où elle tente de faire interdire son mari.

– Andoche FINOT : rédacteur de prospectus dans César Birotteau, il achète un petit journal dans La Rabouilleuse, devient influent et fortuné (Un prince de la bohème, L'Illustre Gaudissart).

– FLORINE : actrice, amie de Coralie, maîtresse de Lousteau, puis de Nathan (La Rabouilleuse, Une fille d'Eve).

– Etienne LOUSTEAU : journaliste, amant de Florine, il devient un feuilletoniste à la mode et séduit Dinah de la Baudraye (La Muse du département) ; il est toujours journaliste dans La Cousine Bette.

– Comte Henry de MARSAY : fils naturel de Lord Dudley, dandy et libertin, il est affilié aux Treize (La Fille aux yeux d'or et Ferragus). Son premier amour et l'origine de son cynisme font l'objet d'Autre étude de femme. Il devient homme politique dans Le Contrat de mariage, et premier ministre (Un homme d'affaires, Le Député d'Arcis, Une ténébreuse affaire). 

– MATIFAT : droguiste, ami de Birotteau dans César Birotteau, protecteur de Florine, spécule dans La Maison Nucingen.

– Raoul NATHAN : journaliste et écrivain célèbre, « fait » par Dauriat. Florine quitte Lousteau pour lui. Il fascine la comtesse de Vandenesse (Une fille d'Eve). Présent dans de nombreux romans, il est lié à Philippe Brideau dans La Rabouilleuse, ami de Lousteau dans La Muse du département, de Béatrix de Rochefide (Béatrix, Un prince de la bohème).

– Eugène de RASTIGNAC : provincial venu à Paris comme Lucien, mais qui y réussit. Présent dans la plupart des romans parisiens de La Comédie humaine, il résiste à la tentation offerte par Vautrin (Le Père Goriot) mais sait faire jouer les mécanismes du monde à son profit. Ami de Raphaël de Valentin (La Peau de chagrin), de de Marsay qui le fait entrer dans son ministère (Une ténébreuse affaire), il épouse la fille de sa maîtresse, Melle de Nucingen (Le Député d'Arcis), devient ministre et pair de France (Les Comédiens sans le savoir).

– Lucien de RUBEMPRÉ (né Chardon) : poète génial à Angoulême, mais journaliste inconstant à Paris, il échoue sut tous les plans ; puis devenu la créature de Vautrin dans Splendeurs et misères des courtisanes, il aime Esther Gobseck, reparaît brillamment dans le monde mais échoue à nouveau et se suicide. 

– David SÉCHARD : poète, typographe et inventeur ; renonce à bénéficier de son invention, reparaît brièvement dans Splendeurs et misères des courtisanes. 

– Eve SÉCHARD : soeur de Lucien, épouse de David qu'elle remplace à l'imprimerie, reparaît dans Splendeurs et misères des courtisanes. 

– Félicité des TOUCHES : auteur célèbre sous le nom de Camille Maupin, une des reines de Paris (Splendeurs et misères des courtisanes, Autre étude de femme) ; amoureuse de Calixte du Guénic, elle prend le voile (Béatrix).

– Félicien VERNOU : journaliste envieux et méchant, on le retrouve dans Splendeurs et misères des courtisanes et Une fille d'Eve.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Pour les contemporains de Balzac, ce que nous connaissons sous le titre Illusions perdues s'est donné à lire de manière morcelée et à deux puis quatre ans de distance. Chaque roman a donc été lu isolément, du moins jusqu'en 1843. Le premier n'a guère attiré l'attention : Jules Janin en parle comme d'un « insipide roman, oublié par tous », et Eusèbe Girault de Saint Fargeau comme d'une longue et lourde diatribe contre la province, (...) roman sans action et sans intérêt ». David Séchard, en édition séparée, a été également mal accueilli, considéré comme mal composé, mais c'est Un grand homme de province à Paris qui cristallise toutes les indignations et les invectives. On peut lire dans Le Corsaire : « Ce livre, dans lequel on n'entre que comme dans un égoût, ce livre tout plein de descriptions fétides, ce livre dégoûtant et cynique, est tout simplement une vengeance de M. de Balzac contre la presse. », et sous la plume de Jules Janin : « Jamais en effet, et à aucune époque de son talent, la pensée de M. de Balzac n'a été plus diffuse, jamais son invention n'a été plus languissante, jamais son style n'a été plus incorrect... ». La publication d'Un grand homme redouble les attaques portées à Balzac par la presse et plus particulièrement par les petits journaux, critiques qui vont ternir durablement la réputation de Balzac. Illusions perdues, que Balzac considérait comme « l'oeuvre capitale dans l'oeuvre », sera peu réédité dans la seconde moitié du siècle, au regard d'autres romans comme La Peau de chagrin, La Cousine Bette ou Eugénie Grandet. Mais à la fin du siècle, le roman fait partie, avec Le Curé de Tours, La Rabouilleuse, La Cousine Bette, de ceux que privilégient les lecteurs de gauche. 

Les interprétations ultérieures du roman gardent trace de cette réception différenciée : c'est l'épisode parisien qui garde le rôle directeur. C'est le cas de l'interprétation célèbre qu'en donne Georg Lukacs, dans Balzac et le réalisme français, qui voit dans ce roman, « l'épopée tragi-comique de la capitalisation de l'esprit » et plus précisément, la « transformation en marchandise de la littérature (et avec elle de toute idéologie) », la « capitalisation de la littérature depuis la production du papier jusqu'à la sensation lyrique ». Et lorsque Maurice Bardèche considère qu'Illusions perdues propose une analyse du mal du siècle comme « dilution de la vérité entre les impostures », sa lecture se fonde d'abord sur la seconde partie.

Seuls semblent pouvoir rivaliser avec les épreuves de Lucien dans l'enfer du journalisme, la scène finale de sa rencontre avec le faux abbé espagnol et le pacte qui la conclut. Proust admire dans cette scène l'audace de la peinture de l'ambiguïté sexuelle, et la réécrit, sur le mode ironique, dans le Côté de Guermantes, lorsqu'il fait s'affronter Charlus et le Narrateur. Les interprétations contemporaines, quant à elles, une fois éclairées les relations aux différents modèles et sources possibles par l'introduction de Roland Chollet à l'édition de la Pléiade, soulignent volontiers l'unité du roman et les liens serrés existant entre les trois parties d'un roman qui « s'institue par la représentation de ses conditions d'existence ». Dans cette même perspective, les études rassemblées en 1988 sur Illusions perdues « l'oeuvre capitale dans l'oeuvre » (éd. SEDES) sont centrées sur les différentes phases de la production et de la réception de l'imprimé que constituent, chacune différemment, les trois parties de ce roman, le premier à mettre en fiction, pour mieux la révéler, la fabrique de la littérature.