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MADAME FIRMIANI

par Florence TERRASSE-RIOU

 

I. L'HISTOIRE

Les premières pages de ce très court roman nous proposent un foisonnement d'hypothèses sur son héroïne : qui est donc cette Madame Firmiani ? Une « rusée commère » ? Ou « un ange » ? Le texte entretient longtemps la plus grande incertitude romanesque. Et l'éventail kaléidoscopique des différents points de vue se conclut sur cette phrase : « Effrayante pensée ! nous sommes tous comme des planches lithographiques dont une infinité de copies se tire par la médisance ». Le jeune Octave de Camps a dissipé sa fortune pour Mme Firmiani : ceci « n'[est] malheureusement pas une fable ». Monsieur de Bourbonne, oncle du jeune homme, vient à Paris pour analyser la situation. Et très rapidement, il doit abandonner la piste de l'aventure galante. Le conte mondain acquiert alors une portée morale. Et la gravité des enjeux justifie un dénouement aussi sérieux qu'idéalisé. 

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

On ne connaît du manuscrit que deux feuillets conservés à la bibliothèque municipale de Nancy. En revanche la collection Lovenjoul (A 123) possède des feuilles de l'édition Béchet de 1835 corrigées pour l'édition Furne. Le texte semble avoir été écrit fin janvier-début février 1832. Il paraît dans la Revue de Paris du 19 février 1832.

– Octobre 1832 : 1ère édition, édit. Gosselin, dans Nouveaux Contes philosophiques, avec Maître Cornélius, L'Auberge rouge et Louis Lambert.

– Mai 1835 : 2e édition, édit. Mme Béchet, dans Etudes de moeurs au XIXe siècle, t. XII, 4ème volume des Scènes de la vie parisienne.

– Décembre 1839 : 3e édition, édit. Charpentier, dans le tome I des Scènes de la vie parisienne, « nouvelle édition revue et corrigée » – en 2 volumes.

– Juin 1842 : 4e édition, édit. Furne, dans le tome I de La Comédie humaine ; dans les Scènes de la vie privée c'est le 5e roman.

– On notera, dans le Furne corrigé, au coeur de la dernière tirade d'Octave, l'ajout de cette phrase «...et les juges ont le droit de se tromper. » 

 

III. PERSONNAGES

– Monsieur de BOURBONNE : personnage légèrement comique. « Oncle à héritage » d'Octave de Camps. D'après Pierre Citron (introduction à Madame Firmiani, Seuil, 1965), « Musset se souviendra peut-être, dans la scène initiale d'Il ne faut jurer de rien, du dialogue entre l'oncle à héritage et le neveu accusé de dissipation ». Il se fait présenter chez madame Firmiani sous le nom de M. de Rouxellay. Il n'apparaît sous le nom de Bourbonne que dans l'édition Furne. Auparavant, le personnage s'appelle M. le comte de Valesnes. On le retrouve dans Le Curé de Tours.

– Les membres de la famille BOURGNEUF (le vieux père, la mère et les ravissantes filles) apparaissent rapidement en une « scène de la restitution » digne de Greuze.

– Octave de CAMPS : ruiné, il doit donner des leçons de mathématiques pour vivre. Il a secrètement épousé madame Firmiani à Gretna-Green. Il veut restituer des biens qu'il juge mal acquis par son père.

– Madame FIRMIANI : née Cadignan, et donc reçue partout « une des reines de Paris ». Elle attend de recevoir l'acte officiel de décès de son mari. Mais, en secret, elle se dévoue totalement à l'homme qu'elle aime. Elle est très connue dans La Comédie humaine (Le Père Goriot, Illusions perdues, L'Interdiction, La Femme de trente ans, Le Cabinet des Antiques, Une fille d'Eve, Splendeurs et misères des courtisanes, Le Contrat de mariage, Autre étude de femme). Inversement, pour valoriser le milieu social de Mme Firmiani, les plus grands noms du faubourg Saint-Germain sont cités : les Listomère, les Lenoncourt, les Vandenesse apparaissent dans l'édition Furne, ainsi que la marquise de Listomère (auparavant nommée la comtesse de Frontenac) ; Mme la princesse de Blamont-Chauvry apparaît dans l'édition Béchet, la duchesse de Maufrigneuse, la marquise d'Espard, Mme de Macumer apparaissent dans l'édition Furne. 

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Ce bref récit exploite tout d'abord le thème de « l'élégante médisance parisienne », des « ravissantes calomnies ». Certains ont voulu voir un « modèle » de Mme Firmiani dans Mme Récamier. Beaucoup préfèrent comparer le bonheur d'Octave et de Mme Firmiani à celui de Balzac aimé de Mme de Berny, et financièrement aidé par elle. Comme pour faire écho à l'intrigue du Colonel Chabert, dont la rédaction est contemporaine, Balzac fait de Mme Firmiani une veuve qui ne parvient pas à fournir la preuve de la mort de son mari. L'incipit brillant de ce roman a séduit tous les critiques et est très souvent évoqué pour illustrer la modernité de l'écriture balzacienne. Dans Introduction à l'étude des textes (Seuil, 1995), Michel Charles analyse cet « étonnant étoilement initial du texte » comme des « rêves d'histoires » qui aideraient à approcher la notion de « texte virtuel ». L'essentiel de l'oeuvre ne se trouve pourtant pas dans une quelconque réponse à ce questionnement initial sur la personnalité insaisissable de l'héroïne. On voit surtout reparaître ici la question, déjà traitée dans L'Auberge rouge en 1831, et qui sera approfondie dans L'Interdiction en 1836, de l'origine des fortunes et de leur légitimité. On sait que la loi dite du « Milliard des émigrés », proposée par le ministère Villèle et votée le 27 avril 1825, vise à indemniser les émigrés dépossédés par la vente des Biens Nationaux. Cette loi fut longtemps extrêmement impopulaire et suscita bien des débats idéologiques dont Balzac se fait ici l'écho, en en déplaçant les données. Guy Sagnes, dans l'édition de La Pléiade, souligne pour sa part qu'« au contraire de ce qui se produit souvent dans La Comédie humaine, ce n'est pas ici l'argent qui corrompt l'amour, mais l'amour qui purifie l'argent ».