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LA MAISON DU CHAT QUI PELOTE

par Florence TERRASSE-RIOU

 

I. L'HISTOIRE

Monsieur Guillaume, marchand drapier de Paris, a deux filles à marier. Elles font deux mariages « bien différents ». Virginie, l'aînée, épouse le commis, successeur de son père : mariage solide qui témoigne de sa « fidélité au quartier » ; ces deux époux « marchent avec leur siècle », c'est-à-dire que « ce couple convenablement assorti » accepte la vie « comme une entreprise commerciale ». Augustine, ravissante jeune fille, fait un brillant mariage d'amour, en épousant Théodore de Sommervieux, aristocrate et artiste ; mais ce double décalage, social et intellectuel, mène cette union vers l'échec, car aucune sensibilité poétique ne vient compenser le manque d'éducation mondaine de la jeune femme.

Ce roman a été placé par Balzac en tête de La Comédie humaine, pour dénoncer « les dangers des faciles mésalliances qui seraient à craindre aujourd'hui ». La description initiale de la façade de la « maison du chat-qui-pelote » témoigne de la réflexion balzacienne sur les objets « archéologiques » ; l'archéologue, observateur privilégié, est ici Sommervieux, le peintre amoureux. Il cherche des modèles, peint ou plutôt « repeint » ce que Balzac appelle des « tableaux naturels ». L'échec de son mariage est consacré lorsque cet artiste offre le portrait de sa femme à sa maîtresse.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

– Le manuscrit, alors intitulé Gloire et Malheur, est conservé à la bibliothèque Lovenjoul (A 89), à l'Institut de France. Il est complet et comprend 35 feuillets. Il propose trois débuts très différents, abandonnés dans le texte définitif, portant sur « le plaisir difficile qui se rencontre dans l'investigation physiognomonique (...) depuis l'ère de la liberté », sur « les débris de l'ancien monde », sur « l'uniformité et la perte des nuances ». 

– Octobre 1829 : rédaction de l'oeuvre à Maffliers, près de la forêt de l'Isle-Adam, au nord de Paris : la duchesse d'Abrantès y séjournait chez les Talleyrand-Périgord ; mais on ne sait pas si Balzac était au village, ou au château. Les critiques ont noté que la duchesse a inspiré le personnage de la duchesse de Carigliano.

Avril 1830 : 1ère publication de Gloire et Malheur, édit. Mame-Delaunay, en tête du tome II de l'ouvrage – en 2 volumes – intitulé Scènes de la vie privée.

– Mai 1832 : 2ème édition de Gloire et Malheur, édit. Mame-Delaunay, en tête du tome II de l'édition augmentée – en 4 volumes – des Scènes de la vie privée. Le texte est identique à celui de l'édition originale.

– Juillet 1835 : 3ème édition de Gloire et Malheur, édit. Béchet, en seconde position dans le tome I, édition encore augmentée des Scènes de la vie privée, dans les Etudes de Moeurs au XIXe siècle – en 12 volumes publiés de 1834 à 1837.

– Octobre 1839 : 4ème édition de Gloire et Malheur, édit. Charpentier, en seconde position du tome I, dans Scènes de la vie privée, « nouvelle édition revue et corrigée » – en 2 volumes. Le texte en est identique à celui de l'édition Béchet.

– Juin 1842 : 5ème édition, cette fois sous le titre de La Maison du chat-qui-pelote, édit. Furne, au début du tome I, immédiatement à la suite de l'« Avant-Propos » dans La Comédie humaine.

Nombreuses corrections de détail tout au long du Furne corrigé.

 

III. PERSONNAGES

– Victor d'AIGLEMONT : jeune colonel de cavalerie, il va remplacer Sommervieux dans le coeur de la duchesse de Carigliano, ce qui déclenche la fureur du peintre. (Son histoire est racontée dans La Femme de trente ans).

– La duchesse de CARIGLIANO : née Malin (Le Député d'Arcis). « Célèbre coquette de la cour impériale », « sirène », « enchanteresse », « artificieuse » avide d'hommages » elle prétend révéler à Augustine les secrets du bonheur conjugal, après lui avoir ravi son époux. Plusieurs réapparitions dans La Comédie humaine.

– « Maître » GUILLAUME : de tous les marchands drapiers de Paris, il est « celui dont les magasins se (trouvent) toujours le mieux fournis, dont les relations [ont] le plus d'étendue, et dont la probité commerciale ne [souffre] pas le moindre soupçon ». Il finit par accepter le mariage de sa fille cadette, et insiste pour la marier séparée de biens, ce dont il se félicite.

– Madame GUILLAUME : sa figure « maigre et longue » trahit « une dévotion outrée ». « Tout le voisinage l'[appelle] la soeur tourière ». Elle méconnaîtra le désespoir amoureux de sa fille. Une des invités du bal, avec sa fille, mourante de chagrin Birotteau (César Birotteau).

– Virginie GUILLAUME : madame Joseph Lebas ; fille aînée des Guillaume, elle est laide mais douce et patiente. Son mariage de raison s'avère heureux.

– Augustine GUILLAUME : madame Théodore de Sommervieux ; seconde fille des Guillaume, elle est l'héroïne malheureuse du roman. « Gracieuse et pleine de candeur », elle fait un mariage d'amour, mais n'est pas à sa place dans le milieu que fréquente son mari. Elle n'est pas sensible à la poésie, n'habite pas la « même sphère » que son mari. « Le seul sublime qu'elle connût était celui du coeur ».

– Joseph LEBAS : premier commis de maître Guillaume, il était destiné à épouser l'aînée de ses filles, tandis qu'il aimait la cadette. Sa femme finit par faire naître l'amour en lui, et il prend la succession de la maison, introduisant certains changements qui « [font] honneur à son bon sens ». 

– Madame ROGIN : cousine de Mme Guillaume, elle accompagne Augustine au Salon de peinture où se trouve le portrait de la jeune fille. Elle arrange le mariage d'Augustine avec Sommervieux.

– Baron de Théodore SOMMERVIEUX : jeune peintre brillant, il revient de Rome. Amoureux d'Augustine, il fait son portrait et peint la salle à manger des Guillaume. Après une lune de miel d'une année, il sent « la nécessité de reprendre ses travaux et ses habitudes ». Il devient l'amant de la duchesse de Carigliano. (Voir Pierre Grassou, César Birotteau.)

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Récit d'un mariage d'amour qui tourne à la tragédie, ce roman est également une histoire de tableaux : le peintre Sommervieux cherche à peindre des « tableaux naturels » et sublime ainsi la réalité de l'humble maison des Guillaume ; il tuera sa femme en déchiquetant son portrait. Au coeur de cette réflexion balzacienne sur la peinture, l'originale façade de la Maison du chat-qui-pelote, exhibée en frontispice de La Comédie humaine, « offre plus d'un problème à résoudre » : couverte de hiéroglyphes, elle offre des mystères, des signes multiples, et suggère des échelles de valeurs. Elle semble proposer différents modèles d'interprétation de la réalité, toujours déçus. L'essai de déchiffrage de cette « enseigne » du « chat-qui-pelote » peut désigner le noeud de l'action romanesque, en ce qu'elle évoque la notion de malentendu qui est au coeur de la narration (voir l'article de Muriel Amar dans L'Année Balzacienne de 1993). Ainsi les quiproquos et les jeux sur la polysémie des mots comme « peinture » ou « draperie » soulignent la rupture entre le monde matériel et l'univers artistique, et témoignent ici de l'incommunicabilité entre deux systèmes de valeurs différents, celui du commerce et celui de l'esthétique.