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LE MESSAGE

par Franc SCHUEREWEGEN

 

I. L'HISTOIRE

Histoire simple. Deux jeunes gens voyagent de Paris à Moulins, un accident de voiture a lieu, un des deux est écrasé par les roues. Il mourra, l'autre recevra sa confidence. Le vivant sera aussi le messager de la mort auprès de la maîtresse du défunt, la comtesse Julie de Montpersan. 

Histoire simple et, pourtant, ambiguë : « étrange messager », conclut Nicole Mozet (« Introduction » au Message, Pl., II, 390), soignant « longuement sa mise avant d'aller apprendre à une inconnue que son amant est mort ». Hypocrite messager, avons-nous envie d'ajouter, qui cache à peine son désir de prendre la place de l'autre, du mort, et qui s'offre en somme à la femme endeuillée en substitut. Jeu de rôles qui se poursuit au niveau du cadre de la nouvelle où est esquissée une structure libidinale « à trois » : « J'ai toujours eu le désir de raconter une histoire simple et vraie, au récit de laquelle un jeune homme et sa maîtresse fussent saisis de frayeur et se réfugiassent au coeur l'un de l'autre... ».

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

–  Le manuscrit du Message est conservé à la bibiothèque Lovenjoul sous la cote A 149 : c'est déjà, pour l'essentiel, le texte définitif. La nouvelle a paru en prépublication dans la Revue des deux mondes en février 1832.

–  Dans l'édition originale, chez Mame-Delaunay de 1833, le titre Le Message a disparu et le texte est couplé avec celui de La Grande Bretèche sous le titre commun Le Conseil. On peut lire le texte du Conseil et son montage au tome II de l'édition Castex (p. 1365-73).

–  A partir de 1834 (édition Béchet des Etudes de Moeurs au XIXe siècle) Le Message redevient un texte indépendant.

– Il est intégré dans La Comédie humaine, en septembre 1842, au tome II des Scènes de la vie privée (quelques feuilles d'épreuves dans Lov. A 16).

– Une seule correction, infime, dans le Furne corrigé.

 

III. PERSONNAGES

En fait une situation de comédie : le mari, la femme et l'amant, ici le substitut de l'amant, opportunément disparu dans l'accident providentiel qui engendre le récit.

– Comtesse MONTPERSAN : elle est « Juliette » pour son amant, et ce sans que l'on sache son prénom. C'est une femme de trente ans, belle, fraîche et désirable, provinciale de surcroît.

– Son comte d'époux cumule les traits du mari trompé et du gentilhomme campagnard, un peu embourgeoisé, aux limites de la caricature.

– Le JE narrateur est à la limite le personnage le plus complexe, un jeune homme inachevé en quelque sorte, propre à tous les débuts dans la vie, et qui fait là sa première expérience, par délégation.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

La nouvelle échappe en quelque sorte à son conteur. Regroupée un moment avec La Grande Bretèche pour illustrer un Conseil indirectement donné sur « les dangers de l'adultère », dans le cadre d'un récit-conversation, elle ne convainc pas les auditeur. « Rien ne ressemble moins à un conte moral », dit la maîtresse du logis » (le premier commentateur, en somme). Et « une jeune fat » croit pouvoir plaisanter : « Il faut conclure de cette histoire [...] que nous ne devons pas voyager sur les impériales !... ». Ce qui permettra au narrateur du Conseil (Pl., II, 1372) d'enchaîner sur « une tragédie domestique plus effrayante ». Le sens de ce texte est évidemment non réductible. Désir de narrer, désir d'aimer, désir du désir de l'autre : le « message » du Message se dissout en quelque sorte dans cette série de glissements troublants. Car rien n'arrive en finale, rien ne se dit vraiment dans cette histoire où l'essentiel est à lire entre les lignes. On a attiré l'attention sur les ressemblances qui existent entre ce texte et Le Lys dans la vallée où sont évoquées les amours impossibles de Félix de Vandenesse et de Mme de Mortsauf, amante et mère : sans doute retrouvons-nous, ici, un autre triangle oedipien.