La canne aux turquoises

Le Cointe

Date : 1834

Matériaux et techniques : Or, jonc et turquoises

Dimension : 90 cm

Description : Canne fée, canne massue ou monument... Les contemporains de Balzac, ont largement glosé sur cet objet, intrigués par son aspect peu ordinaire et la personnalité de son propriétaire.

Convaincu que l’aisance financière ne saurait tarder, Balzac achète ce coûteux accessoire à crédit : la canne commandée à l’orfèvre parisien Le Cointe, 12 rue de Castiglione, et livrée le 18 août 1834, est encore en paiement en avril 1835. L’importance du prix (700 francs) est justifiée par le pommeau d’or, travaillé de fines ciselures et constellé de turquoises, et cette richesse atteste la réussite de Balzac qui vient de publier coup sur coup plusieurs ouvrages très bien accueillis, notamment Eugénie Grandet, La Femme de trente ansou La Duchesse de Langeais. L’écrivain compte accroître son prestige grâce au Père Goriot, alors en préparation. La période est également jalonnée de succès sentimentaux, avec madame Hanska puis la comtesse Guidoboni-Visconti.

Ces bijoux trahissent les prétentions de Balzac qui est alors abonné à l’Opéra comme au Théâtre italien, et s’y montre dans la fameuse « loge infernale » occupée par les dandys. Arbitres des élégances, ceux-ci arborent des cannes agrémentées de montures raffinées et discrètes dont la finesse offre un saisissant contraste avec l’impressionnante canne de l’écrivain. Balzac considère que l’artiste règne sur le monde grâce à la puissance de sa pensée, et qu’il est donc en droit de s’affirmer comme un prince de la mode. Mais il est trop lucide pour ignorer que petit, rond, les dents ébréchées et les cheveux gras, il ne correspond en rien à l’image du dandy svelte et sportif – comme ceux que décrivent ses romans. Désireux de montrer qu’il n’est pas dupe, il commande un accessoire excessif en tout : extravagant par l’énormité du jonc comme du pommeau en or qui arbore des armoiries empruntées aux Balzac d’Entraigues, une famille sans aucun lien avec l’écrivain ; dérangeant, car les turquoises sont généralement associées aux jeunes filles. Et que contient la capsule au sommet du pommeau ? Est-ce une boucle de cheveux ou le portrait de sa maîtresse ? L’objet crée une sensation intense, journalistes et caricaturistes s’en emparent aussitôt pour rivaliser d’imagination.

La canne témoigne aussi de l’amour de Balzac pour madame Hanska, dont le sautoir de jeune fille a fourni les chaînettes, et Balzac peut fièrement lui parler de « … ce bijou qui menace d’être européen […] Et si l’on vous disait dans vos voyages que j’ai une canne-fée qui lance des chevaux, fait éclore des palais, crache des diamants, ne vous en étonnez pas et riez avec moi. » (30 mars 1835)

Canne aux singes

L’écrivain possédait d’autres cannes, comme celle dite « aux singes », commandée à l’orfèvre Froment-Meurice, que conserve également la Maison de Balzac. 

La canne aux singes sur le portail des collections de la Ville de Paris.

La canne magique ?

Cette canne est-elle vraiment magique ? Delphine de Girardin, dans le roman La Canne de Monsieur de Balzac (1836), soutient qu’elle rend invisible celui qui la porte dans la main gauche. « M. de Balzac se cache pour observer ; il regarde, il regarde des gens qui se croient seuls, qui pensent comme jamais on ne les a vu penser ; il observe des génies qu’il surprend au saut du lit, des sentiments en robe de chambre, des vanités en pantoufles, des fureurs en casquettes, des désespoirs en camisoles, et puis il vous met tout cela dans un livre ». Comment en effet expliquer autrement la cohérence et la complexité psychologique de ses personnages ?